Ce site web utilise des cookies afin de vous offrir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations contenues dans les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site web et aider notre équipe à comprendre quelles sont les sections du site web que vous trouvez les plus intéressantes et les plus utiles.
Pour
s'adapter
aux nouvelles
cohabitations,
repensons le logement
Par Fernanda Canales, architecte, professeure invitée à Harvard, Yale et Princeton Univesité
Tribune en partenariat avec Libération
« La pandémie et la crise environnementale sont autant d’ultimatums qui nous somment de repenser les moyens de garantir une sphère privée dans un monde partagé, sans exclusion, en abolissant les séparations entre intérieur et extérieur, lieux de vie et de travail, voire entre voisins. Pour que ces différents gradients d’isolement et de partage s’instaurent plus facilement, il ne s’agit plus de concevoir l’habitation uniquement en fonction de ses occupants. Le logement devient l’élément déterminant pour métamorphoser la façon dont les villes sont construites en dépassant l’opposition binaire entre privé et public, urbain et rural, propriétaires et dépossédés, ressources et déchets.
Un quart de la population mondiale vit dans un bidonville
Nous devons considérer le logement comme un lieu qui n’encourage pas les divisions entre classes sociales, genres ou activités. Nous devons trouver de nouvelles façons de relier un lit, un trottoir et un système d’approvisionnement en eau. Certains disent qu’il est inutile de construire du neuf et que nous devrions uniquement réutiliser les espaces vacants existants ; d’autres affirment qu’au cours des 25 prochaines années il faudra construire 300 millions de nouveaux logements dans le monde. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, une personne sur quatre vit dans un bidonville. Pendant la pandémie, il est devenu évident que le logement ne saurait être vu comme un élément isolé mais qu’il fait partie d’un système complexe de connexions qui en font un réseau profondément interdépendant.
Nos villes exacerbent les contradictions entre les besoins vitaux et les désirs irréalisables, entre la subsistance de base et le gaspillage outrancier, entre les avantages du partage et le refus de coopérer. Ceci implique de modifier notre compréhension de la communauté et de l’indépendance. Définir un lieu à soi suppose de le délimiter d’une manière ou d’une autre, et notre avenir dépend précisément de la façon dont nous établirons ces démarcations. Nous devons questionner les mécanismes actuels de propriété foncière, et dépasser l’idée selon laquelle chacun se définit par ce qu’il possède. Nous devons concilier le besoin de vie privée avec les besoins des autres et avec l’utilisation de ressources renouvelables. Le logement est l’élément de base qui permet de concilier les importantes incompatibilités entre les privilèges de certains et les besoins de tous.
Acter d’autres formes de cohabitation
La conception de logements exige que nous redéfinissions les notions d’intimité et de cohabitation, de production, de consommation et de repos, dans un monde que nous avons inventé pour nous-mêmes et que nous essayons de contrôler, mais dont nous avons mal compris la logique intrinsèque. Ces contradictions résultent de trois mythes fondateurs de la maison moderne : la maison en tant que lieu de repos, comme si le travail pouvait être séparé du reste de la vie et que nos tâches domestiques pouvaient disparaître ; la maison comme propriété privée, accessible à tous, comme si l’équation économique ne la rendait pas souvent, par définition, inabordable pour la majorité ; et enfin, la maison comme sanctuaire pour la famille nucléaire (mari, femme, enfants), comme s’il n’y avait pas d’autres formes de cohabitation et que les sphères privée et publique étaient indépendantes.
Le désir de construire ensemble une ville qui nous ressemble prend un tout autre sens dans un pays comme le Mexique, où plus de 70 % des constructions sont informelles (autoconstruites). Dans de nombreuses régions du monde, la conception participative n’est pas une aspiration mais la seule manière de construire si l’on n’a pas accès à des spécialistes et si l’on ne peut pas s’offrir les services d’un architecte ou d’une entreprise du bâtiment.
L’absence de planification ou de vision à long terme ainsi que la multiplication des désirs individuels éloignés de tout projet commun doivent nous mettre en garde contre la romantisation de la dynamique d’improvisation des favelas. La nature complexe des inondations, des séismes et des incendies, ainsi que la nécessité impérieuse de parvenir à une relation équilibrée avec les ressources naturelles, nous obligent à concevoir des logements qui ne soient pas séparés des transports, des méthodes de stockage de l’eau et même de la production alimentaire. Cela ne peut se faire que si nous cessons de cantonner l’architecture aux seuls bâtiments et que nous anticipons les conséquences des désirs individuels sur un territoire partagé.»
Fernanda Canales
Cette tribune a été réalisée en partenariat avec Libération dans le cadre du «RDV à Bordeaux!», manifestation organisée par le Fonds de dotation Quartus pour l’architecture, conçue avec Fanny Léglise autour de la fabrique collective de la ville.
Photographie : © Ana Hop