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Une main
tendue à
chaque habitant
Par Sophie Delhay
Architecte, enseignante et directrice de la section d’architecture de l’École polytechnique fédérale de Lausanne
Propos recueilli par Libération
L’architecte française Sophie Delhay, enseignante et directrice de la section d’architecture de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, explore depuis une vingtaine d’années les moyens de libérer les usages dans le logement collectif. Un travail théorique et pratique qu’elle a concrétisé dans un projet phare, «la Quadrata» à Dijon (Côte-d’Or). Dans cette résidence sociale de 40 logements, livrée en 2019, l’architecte a développé un système de «pièces neutres» pour mieux accueillir la pluralité des usages et des vies contemporaines. Elle nous en livre ici le principe.
« Les pièces neutres sont le résultat d’une longue réflexion et le développement d’une expérimentation engagée dès 2006, à Nantes, lors d’un projet de 55 appartements conçus, déjà, selon ce précepte : proposer des espaces domestiques libres de tout usage, sans hiérarchie imposée ni fonction attribuée d’emblée. L’idée n’est en soi pas nouvelle. On la retrouve dans la maison traditionnelle japonaise, avec ses pièces tatami qui changent de fonction selon les moments de la journée, ou dans l’appartement haussmannien, qui comprend, lui, un couloir latéral pour une circulation indépendante.
« Dans la résidence de Dijon, les logements sont donc des assemblages de pièces qui sont toutes de format et de taille identiques, y compris la pièce extérieure : des pièces carrées de 13 mètres carrés (3,6 m×3,6 m). Seule exception, la cuisine et la salle de bains, toutes deux des demi-pièces. Des coulissants permettent de séparer ou au contraire de faire communiquer les pièces entre elles. Le but est de déplacer la réflexion en faisant de la pièce, et non du logement, le véritable outil de conception architecturale. La résidence, plutôt qu’une addition de 40 appartements, est un assemblage de 240 pièces, comme autant de mains tendues à chaque habitant.
« Le dispositif est censé déjouer plusieurs écueils. Celui, d’abord, de la standardisation de l’habitat. Aujourd’hui, la plupart des programmes de logements sont très stricts et définis en matière de typologie et d’organisation. Les objectifs de rentabilité ont poussé à une rationalisation des espaces, à des schémas ultra-cadrés. Les pièces neutres cherchent à redonner une universalité aux logements, à laisser aux habitants le choix d’affecter telle pièce à un usage de chambre, telle autre à un usage de salon, de bureau ou de salle à manger… Mais aussi de faire entrer de nouvelles fonctions dans le logement, comme le travail, le sport, l’école ; des fonctions autrefois réservées à la ville et à présent entrées dans l’espace domestique.
« Les pièces neutres permettent une autre liberté : la modularité. Pour faire évoluer le logement d’un locataire à l’autre, ou au gré du temps. A l’échelle de la journée, en ouvrant par exemple les chambres pour agrandir le séjour, joindre salon et bureau pour le télétravail, etc. ; ou à l’échelle d’une vie, en réaffectant la pièce lorsqu’une chambre se libère, en créant un bureau si nécessaire, etc.
« Avoir la liberté de choisir d’être, chez soi, seul ou ensemble »
« De quoi accueillir d’autres manières d’habiter… On demande aujourd’hui aux architectes d’adapter les bâtiments au handicap, au climat, aux risques… mais très peu à la société et aux mouvements qui l’animent. C’est étrange, et dramatique : nombre de programmes de logement demeurent fondés sur une sociologie des années 1970, caduque… La famille traditionnelle a laissé place à une pluralité de foyers, complexes, fluides et évolutifs. Colocation, familles monoparentales ou recomposées, cohabitation intergénérationnelle, retour temporaire des enfants adultes, accueil d’un parent âgé… Nous avons besoin de logements plus flexibles, qui permettent à chacun d’être autonomes et indépendants, et d’avoir la liberté de choisir d’être, chez soi, seul ou ensemble. C’est pourquoi nous avons prévu, pour la moitié des logements de cette opération, que l’une des pièces soit accessible directement depuis l’extérieur. Ce sont ainsi des habitations à deux entrées. Cela permet d’accueillir dans son logement une activité professionnelle, ou de donner une certaine autonomie pour les jeunes adultes vivant chez leurs parents par exemple.»
Propos recueilli par Benjamin Leclerq, journaliste, Libération
Propos recueilli par Libération dans le cadre du « RDV à Bordeaux! », manifestation organisée par le Fonds de dotation Quartus pour l’architecture avec Fanny Léglise autour de la fabrique collective de la ville.
Photographie : Sydney Caron